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Interview de Khalid Benghrib sur Meta_Morphèmes

  • Maëliss Le Bricon
  • 9 oct. 2016
  • 6 min de lecture

INTERVIEW DE KHALID BENGHRIB SUR Meta_Morphèmes avec les 3A ( 2016)

Khalid Benghrib et Loren Palmer, à l'école Jeu, le 28 mai 2016

Pédagogue/concepteur et chorégraphe, Khalid Benghrib a créé Meta_Morphèmes avec les 3A dans le cadre de la 3 année du Cycle Long à l'école du Jeu. Sa méthode et son enseignement organique mettent le corps matière au croisement de la dynamique et de la sensibilité en utilisant des composantes de la danse contemporaine avec le traitement des fondamentaux, la danse transe, l'apport des arts martiaux et le yoga afin de laisser place aux potentiels inventifs d'un langage chorégraphique dit identitaire.

Dans le cadre de la 3ème année de Cycle Long 2015-2016 ( Promo 1 ) , Khalid Benghrib est intervenu pour la réalisation du Projet 1 : Méta_Morphèmes.

Maëliss Le Bricon : Pourquoi avoir nommé le spectacle Meta_Morphèmes?

Khalid Benghrib : Je voulais travailler sur le rapport à la transformation, celui de la métamorphose. J'ai découpé Meta et Morphème comme on le trouve dans le dictionnaire.

Mais moi, ce qui m'a intéressé c'est de travailler sur plusieurs entités de transformation.

C’est-à-dire : le rapport à la transformation multiple, même à l'intérieur d'une seule situation de transformation. Ça veut dire que quand on voit une situation de transformation X, on observe : son fonctionnement, comment elle évolue, comment elle est vue et comment le procédé chemine à l'intérieur de chaque interprète quand il le fait. On voit des couches de lectures différentes. C'est ce qui m'a intéressé. Parce que j'aurais pu faire Métamorphoses…mais ça ne m'intéressait pas. C’est vraiment Meta au sens de métaphysique / et Morphèmes au sens de transformation, transfiguration, sens opposé au sens initial de ce que l'on peut lire à travers l'image finie ou à travers l'image en évolution.

MLB : Est-ce que Meta_Morphèmes est une histoire ?

Khalid Benghrib : Non, je n'aime pas raconter quelque chose d'une manière anecdotique, d'une manière structurée sur la succession de l'information. Ça ne m'intéresse pas.

Ce qui m'a intéressé par contre, c'est de prendre un fragment, de quelque nature qu'il soit, et de le faire évoluer en tant que matière. Dans n’importe quelle démarche, c'est ce concept-là qui m’intéresse. Cela concerne aussi le texte.C'est pour cela qu'on a travaillé sur les fragments de texte. Je ne suis pas venue avec une pièce en disant " Voilà on va travailler sur Œdipe," " On va travailler sur X pièce de Shakespeare ". Ça ne m'intéressait absolument pas.

J'ai laissé chaque interprète, chaque artiste, puiser dans sa mémoire personnelle. Même si le choix est inconscient, pourquoi amener tel texte et pas un autre ? Ce n’est pas anodin.

A partir de ce moment-là, le texte est extrait d'une situation, il est extrait d'une histoire. A partir de ce moment-là comment la construction va se faire à travers ces fragments pour que l'ensemble du fragment me donne une lecture autre que celle qui est initiée par un texte x ?

MLB : Est-ce que tu avais un thème en tête au début du travail ?

Khalid Benghrib: Oui et non. J'ai travaillé sur ce que l'on appelle la référence à l'image.

J’ai donc amené un tableau que je connais très bien et que j'aime beaucoup : « La Tentation » de Jérôme Bosch. Au fond de moi je savais que je voulais travailler sur la condition humaine et le rapport à la croyance, je le savais. Mais je n'ai pas voulu aborder le thème comme structure de construction.

J'ai préféré introduire le thème grâce à la structure sous-jacente, c’est-à-dire : à travers la manipulation, le traitement du corps, et le traitement du texte. Et de là on fait sortir quelque chose.

Comme par hasard ça a reconditionné le rapport à l'homme, à la femme, à la société, à la croyance, au bien au mal, à la nature humaine mais sans forcément chercher à aller dans une diction de la thématique.

J'ai fait le travail inverse, c'est à dire : qu’à travers les fragments on a construit un thème. Alors que le thème préexistait déjà.

MLB : Est-ce qu’on peut parler d’un rêve ?

Khalid Benghrib : Le traitement du rêve et un traitement à part entière, pour moi c'est très clair. Ce n’est pas un rêve, pas une histoire, pas un élan d'une personne bien précise.

On est tous rempli d'une mémoire active, d'une mémoire passive et d'une mémoire de l'oubli. On a des quartiers à l'intérieur de notre cerveau. Dans notre cerveau, on a ce qui est apparent, ce qui dynamise ce qui est apparent et ce qu'on laisse quelque part parce qu'on a pas envie d’y toucher ou parce que on n’en a pas eu l’occasion. C'est là que j'ai creusé. Dans cette réserve.

Pour moi c’est une réserve fondamentalement forte et riche qu’il faut laisser surgir sans forcément pousser chaque individu à aller creuser dedans. J'ai juste ouvert les portes, les frontières pour que le contenu de la réserve puisse monter en surface. Pour que cela devienne une réalité, et non pas " une réalité narrative " ou une " réalité expressive ", mais bien une réalité qui émane d'autres profondeurs.

Cette dynamique permet que d'une représentation à une autre cette réalité nous surprenne d’elle-même. C’est-à-dire qu’il y a la nôtre, individuellement, mais qu’il y aussi la nôtre collectivement. L'interprète, une fois à l’intérieur, ne voit pas ce qui se voit depuis l'extérieur à travers l'assemblage.

J'aime beaucoup que l'artiste interprète, lorsqu’il est en état d'interprétation, soit nourri par sa propre interprétation. Il n’a pas de représentation figée où il se dit " bon maintenant je vais jouer mon rôle ", parce qu'il n y a pas de rôle. Il est toujours dans son processus.

« Un jour ça va être bien comme il faut », « un autre jour ça va pas être bien comme il faut », mais ce n’est pas grave. Le plus important pour moi c'est que la dynamique intérieure soit la même.

La force intérieure et le feu à l’intérieur reste les mêmes. Avec une intensité différente selon le jour. Mais il y a le feu, qui surgit, et donne d’une fois sur l’autre des colorations différentes.

J'ai ma logique. Mais je ne veux pas imposer ma logique à l’interprète. Pour moi il y a une forme d'espace intime. C'est son espace intime. Bien qu'il le donne aux autres. Une fois que l’artiste est sur scène, il le donne aux autres, mais il le donne dans le respect de cette condition intime.

MLB : Comment vas-tu à la rencontre de cet espace ?

Khalid Benghrib : Il y a plusieurs modes opératoires. Ce qui est important pour moi et ce qui reste fondamental à défendre, c'est comment pousser l'artiste interprète à aller creuser à l'intérieur, tout en respectant son intimité. Et à partir de ce moment-là, une fois qu'il y a cette confiance, la personne se livre. Elle a envie de se livrer. Elle n'a pas envie de se livrer parce qu'elle a envie de te montrer la réserve, c'est la réserve qui commence à la piquer de jour en jour. Du coup, il a en quelque sorte envie de s'en débarrasser. Mais pas de s'en débarrasser en la jetant mais s'en débarrasser en la mettant en lumière.

MLB : Tu rends cette mise en lumière possible ?

Khalid Benghrib: Moi je ne fais que donner des outils pour que chacun puisse préparer l'espace où poser le langage. Mais je ne définis pas le langage comme étant "comme tel ou comme tel". C'est à dire qu'on peut passer de choses très abstraites à des choses très expressives.

Je n’ai pas de problèmes d'esthétique là-dessus.

Ce qui est important pour moi c'est la justesse. Mais la justesse ne vient qu'à travers le rapport à la vérité avec soi. Le juste pour moi est associé à la vérité. Bien que ce soit une vérité que la personne décide de nous donner. Ce n'est pas une vérité, qui est en relation avec celui qui la voit. Puisque celui qui la voit, ne voit que ce qu'il voit, en fonction de ce que cela réveille en lui comme lecture possible. Donc on est tranquille. Il n'y a pas de dogma. Ni dans la façon d'amener l'information, ni dans la manière de pousser le spectateur à regarder l'interprète. Il y a une vraie démocratie dans le rapport à l'œil.

Ce que l'œil propose, ce que l'œil voit, dépend de ce que l'autre propose.

Cela me renvoie à moi-même et réveille en moi, en tant que spectateur, des choses encore plus enfouies que « des sensations agréables ou désagréables ».

Je travaille sur la réserve, même chez le public.


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