top of page

L'acteur, le corps...le chemin.

L'acteur, le corps...le chemin.

Aux élèves des Classes Concours, mais pas seulement.

Dans cette époque où tout se transforme si vite, où notre mère la science, tant chérie, connaît des révolutions permanentes, il est toujours étrange de mesurer combien, dans l’établissement de nos croyances, de nos structures, nous semblons lourds. Comme un énorme bateau qui continue à filer droit mue par la force d’inertie et qui nécessite de faire « machine arrière toute » pour ralentir et enfin s'arrêter, avant de pouvoir changer de cap.

Je sais aussi que chacun d’entre vous, pris par la vitesse de ces jours trop courts, pris par la somme de travail, par cette recherche de précision, à chaque instant renouvelée, n’a que peu de temps pour lever les yeux et mesurer combien le monde change tout autour.

Hors c’est du devoir de l’acteur d’être scindé en deux. Une part doit être au travail. Toujours. Toujours plus ouvert, toujours plus libre. Une autre doit interroger le monde pour tenter de rester en contact avec ce qui s'écrit, avec l'humain dans ce qu'il a de plus noble et ainsi, ouvrir la route. Ce n’est pas un métier de tout repos. Bien au contraire. Cela demande une vigilance permanente. Une capacité à remettre l’ouvrage sans arrêt sur le métier.

Parfois, en regardant vers quoi le monde tente de vous entraîner, je sens encore sourdre la colère. Il faudrait arriver quelque part ? Il faudrait nager plus vite que les autres pour rejoindre un trône sur lequel s’avachir et s’enorgueillir de sa belle couronne ? C’est donc cela qu’on vous propose ?!

Si vous suivez cette route, je vous l’annonce : votre vie risque de vous sembler bien longue et bien vide.

La vie n’est qu’un chemin. Un chemin chaque jour neuf, chaque jour vierge où tout est à recommencer. Et c’est là l’immense bonheur de ce métier. D'ailleurs, pas seulement de ce métier… Pour celui qui sait vivre ainsi, c'est là l'immense bonheur de la vie !

Mais nous parlions de corps. Dans le titre, du moins… Qu’à donc à voir cette introduction avec le corps ? Avec la dimension dansée de l’acteur ? Tout, justement ! La science nous dit aujourd’hui que tout est imbriqué, non localisé et les avancées significatives de ces dernières années s’appuient sur cette nouvelle réalité. Alors, transfigurons cela à notre métier, voulez vous ? Si nous faisons ainsi, il ne devrait alors plus y avoir de frontières entre le comédien, le chanteur, le danseur, le circassien, le poète. Pourquoi ? Parce que tout cela est une même chose, tend vers un même endroit. Et que l’oubli d’une ce ces parts est comme de se priver de ses oreilles parce qu’on aurait des yeux ! Cela, dans ce nouveau monde, devient tout simplement un handicap, réel !

Léonard de Vinci – Croquis d'Anatomie

Pour que le changement devienne effectif, c’est un changement profond de mentalité qui doit s’opérer. Chez les enseignants, chez les programmateurs, chez tous les gens du métier. Et il vous faudra tenir bon pour faire entrer cette nouvelle façon de travailler dans tous les recoins du monde du spectacle vivant.

C’est à vous aussi d’exiger ce niveau de travail, chez vous, mais aussi dans vos lieux d’apprentissage et dans tous les endroits où vous portez et porterez le théâtre.

Il me semble impossible de voir aujourd’hui des acteurs qui ne savent même pas nommer et placer leurs articulations, leurs muscles, leurs nerfs. Comment pourrions-nous encore entrer sur scène sans avoir intégré cela ? Et l’espace ?!

Observez les danseurs… regardez comme ils savent faire vivre un espace vide. Il y a un devant, un derrière, un haut, un bas ! N'ayons pas peur de leur demander de l'aide. De leur ouvrir notre monde en accueillant le leur.

Vous avez à créer ce théâtre de demain qui n’aura pas à rougir devant notre modernité. Pas dans le sens gadget de rajouter de la vidéo ou des effets numériques, non – même si cela est aussi une piste de travail. Mais dans l’intégration de ces nouvelles lois. Dans votre corps, dans votre jeu, dans la prise en compte réelle du partenaire, de l’énergie d’une salle différente de celle d’une autre. Pas seulement en étant capable de le constater, mais en mettant au point des outils pour créer cet art bien plus vaste que nous ne pourrons jamais le percevoir.

Il n’existe pas d’acteur accompli, si ce n’est dans l’instant exact où il vit cette magie. Le reste du temps, c’est un homme ou une femme qui travaille, cherche, encore et encore. Et pour cela, il doit garder en mémoire qu’il est un apprenti. Toujours.

L’Ecole du Jeu est un lieu pour nous tous. Il n’y a pas de scission entre ceux qui préparent leur entrée dans la vie active de comédien et ceux qui y sont déjà. Nous travaillons avec vous tous et cherchons, sans arrêt, à vous offrir des espaces, des rencontres, des intervenants vous permettant de rester en travail. Nous permettant tous de rester en travail. Toujours. Je me répète. Toujours.

J'espère que les temps qui arrivent nous sortiront des vieilles querelles : du bon, du mauvais, de l'acteur, du danseur, de l'ancien, du vieux et du jeune et qu'ensemble, avec chacun nos forces, nous créerons un théâtre qui se donne, complètement, librement. Ayant toujours plus à cœur le chemin que le résultat. Et quel que soit le votre -de résultat- dans ces épreuves qui arrivent, ne le perdez jamais des yeux.

L'important est le chemin… juste le chemin.

Avec vous de tout cœur !


bottom of page