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Interview de Louis Arène et Julie Moulier, anciens élèves à l'Ecole du jeu.


Respectivement comédien à la Comédie-Française et comédienne pour John Malkovich avant de rejoindre Patrice Chéreau, Louis Arène et Julie Moulier sont deux amis de longue date. Nous leur avons demandé de revenir sur leur parcours, tous deux étant passés par l’École du Jeu.

Claire Duchêne, pour l’École du Jeu : Depuis quand vous connaissez-vous ?

Julie Moulier : Depuis 17 ans !

Louis Arène : Nous nous sommes rencontrés dans un cours de théâtre sur une péniche, puis nous avons tous les deux fait l’option théâtre du lycée Claude Monet.

Louis Arène, ancien élève à l'Ecole du Jeu.

C. D. Avez-vous déjà eu l’occasion de travailler ensemble en dehors de l’école ?

L. A. J’ai réalisé un film il y a quatre ans dans lequel Julie a joué, ainsi que Judith Chemla et Lionel Lingelser. On a travaillé à partir d’improvisations sur des personnages très marqués.

Dans le cinéma français, actuellement, le type de jeu est naturaliste. Nous avions envie de voir comment nous pouvions amener des personnages hauts en couleur face au média de la caméra.

Nos personnages étaient des rock-stars qui avaient décidé de partir ensemble à la campagne !

J. M. Delphine nous a d’ailleurs fait travailler pendant 5 jours sur la construction de nos personnages. Il fallait que notre personnage puisse se développer, de sorte que le tournage soit presque un documentaire : on pouvait les mettre dans n’importe quelle situation, ils réagissaient et vivaient. On a beaucoup travaillé leurs corps, de manière à pouvoir y entrer et en sortir de manière fluide et concrète.

C. D. Cela fait maintenant 5 ans que vous êtes passés par l’école. Quels liens gardez-vous avec ce lieu et avec Delphine Eliet ?

L. A. C’est une amie. Elle reste aussi pour moi un Maître : elle m’a vraiment appris à travailler, à m’adapter quelle que soit la situation, à trouver un endroit intéressant dans un projet qui plaît moins que d’autres… Quand je suis sorti, j’avais peur de perdre le rapport au corps que j’avais travaillé tous les jours dans le cadre des cours. Mais il faut faire confiance dans le fait que le travail se dépose.

Par exemple, je m’échauffe très peu avant de jouer, mais je fais toujours le chemin pour être « disponible » : il suffit parfois d’être là et de discuter avec un comédien, ou prendre une minute tout seul à ne rien faire…

Ce qui m’a marqué également est le travail sur des forces qui sont complètement en contradiction, voire paradoxales. Sur le plateau, quand tu n’en as « rien à faire », mais que tu fais ça avec le plus grand sérieux du monde, c’est génial !

Julier Moulier, élève à l'Ecole du Jeu

J. M. Moi, j’ai également appris à travailler. Et ce que je retiens le plus est le trajet effectué par Delphine : c’est une actrice qui a imaginé, inventé, à chaque endroit dans le travail, comment elle avait envie de jouer. Sa pédagogie est née de son parcours.

En tant que pédagogue, elle apprend à être soi-même, et non pas un « faiseur ». Je crois que l’on ne reconnait pas un acteur qui sort de l’École du jeu grâce au type de théâtre qu’il pratique, mais plutôt grâce à une attitude, une liberté, une acuité… Delphine fait travailler tous les styles, tous les codes : après, c’est au comédien de choisir ce qu’il aime.

Ce que je garde surtout est le fait que cette école questionne en permanence le comédien qui y travaille : lorsque j’y étais, je me suis beaucoup interrogée sur la question de la profondeur.

Aujourd’hui, quand je travaille, j’ai parfois moins de temps pour me questionner : le fait d’avoir pris ce temps auparavant permet le surgissement plus rapide de ces interrogations.

Une autre chose que je garde : j’ai appris à regarder, donc à écouter, donc à être sur un plateau.

C’est là-bas que j’ai appris à voir que les gens étaient différents et à accepter leur complexité.

L. A. C’est apprendre à prendre les choses comme elles sont sans les juger : recevoir l’inconnu. Une chose dont nous n’avons pas encore parlé mais qui est très présente dans ce travail-là, c’est la joie.

Elle devient un moteur de vie et de jeu magnifique et essentiel. C’est pour cela que l’on fait ce métier-là : pour attirer les gens vers le haut.

Ce qui est super avec ce travail, c’est que l’on n’a pas besoin d’avoir vécu des choses terribles pour jouer de la tragédie grecque ou du Racine…

J. M. Même si tu as besoin de faire appel à des choses plus dures que d’autres, tu fais en sorte que ça reste quelque chose de joyeux !

Ça amène une forme de légèreté, qui n’est pas évidente à appréhender, parce qu’au départ, il y a énormément d’émotions qui circulent dans les cours.

Il peut y avoir confusion là-dessus, mais la quête de l’émotion n’est pas une fin en soi : c’est un outil dont le comédien aura peut-être besoin pour jouer certaines situations…

Louis Arène, élève à l'Ecole du Jeu

L. A. Ce qui m’a marqué à ce propos est la différence entre l’intime et le privé. On fait appel à des douleurs, à des joies : on va puiser physiquement pour avoir de la matière de jeu, sans pour autant rattacher telle ou telle émotion à un évènement particulier de notre vie.

J. M. Et le comédien gagne en liberté et en endurance : il a habitué son corps à traverser des émotions denses.

Avec Les Liaisons Dangereuses, il arrivait que je ne veuille plus traverser ces trois heures de spectacle parce que le personnage que j’incarne traverse la dureté, le mépris, la tristesse… Mon cœur était épuisé de cela.

J’ai eu quelques outils qui m’ont permis de savoir comment dépasser ce moment où le corps est en « trop-plein d’émotions ». Le corps doit être disponible et dans le désir de traverser l’émotion toute la journée et toute la soirée.

Les premières fois où je me suis retrouvée devant des grandes salles, cela m’a fait réaliser que mon corps allait devoir emmener parfois jusqu’à 1500 personnes dans mon histoire. Pour faire cela, j’avais besoin d’une certaine dose d’énergie, de désir. Effectivement, quand tu travailles dans le cadre de l’école, tu ne penses pas que tous ces outils vont t’aider à pratiquer ton métier.

C. D. Après le Conservatoire National de Paris que vous avez tous deux intégré, vous avez pris des chemins différents : vous, Louis, êtes à la Comédie-Française tandis que vous, Julie, avez travaillé dans le théâtre privé. Était-ce un choix de votre part ? Et ce cadre influence-t-il votre manière de travailler au plateau ?

J. M. Le choix s’est fait sur la base de « cette pièce-là » montée par « ce metteur en scène-là », et « dans ce rôle-là ». Cette pièce est un « ovni » : il est très rare dans le théâtre privé de jouer une pièce de cet acabit autant de fois [Le spectacle Les Liaisons dangereuses dure 3 heures et tourne depuis près de 2 ans]. Il y a un conflit entre la structure du théâtre privé, qui est commerciale, et la pièce. Cela influence le quotidien : comment se remettre en état de disponibilité le soir après avoir voyagé pendant 5 heures dans la journée ? Ces contraintes existent moins dans les structures publiques.

J’ai découvert également que cette pièce s’adressait à un certain type de public : parfois, ce sont des gens qui n’ont jamais vu ce type de théâtre, donc il faut que l’acteur raconte l’histoire autrement.

Avant, je ne voulais pas faire de concession, mais je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus était de raconter des histoires aux gens. Si je ne veux pas utiliser leurs codes, je ne leur raconte pas des histoires, donc je ne fais pas mon métier. Ce contexte-là m’a appris beaucoup.

L. A. Au début, il y a plutôt des opportunités que des choix. Un jour, Muriel Mayette m’a appelé pour me demander si j’étais intéressé pour une reprise de rôle à la Comédie-Française.

C’est sa rencontre qui m’a décidé : j’ai eu avec elle deux rendez-vous humains, où elle m’a mis dans une position très agréable : « Ce n’est pas moi qui décide, c’est vous qui décidez » m’a-t-elle dit. Évidemment, c’est elle qui a pris la décision finale à la suite de ces deux entretiens.

Ce qui m’a motivé est non seulement le rythme de travail qui existe à la Comédie-Française, mais aussi la troupe de 60 acteurs… J’ai joué sur trois spectacles en une saison, j’ai également joué un solo que j’ai écrit, je signe une mise en scène la saison prochaine…

Le fait que ce soit la maison de Molière est aussi très émouvant.

Je viens d’arriver, donc je joue plutôt de petits rôles : je passe plus de temps en coulisses que sur le plateau, mais j’apprends comment fonctionne ce paquebot qu’est la Comédie-Française…

J. M. Je reviens sur cette question du choix ou du non-choix… Nous, comédiens, sommes l’objet du désir : je crois que je ne serai jamais capable de me dire que ma vie est entre les mains d’autres gens… De fait, je garde ma ligne à moi : je sais pourquoi je fais les choses, et je choisis de les faire en fonction de mon parcours.

Par exemple, il y a des périodes de la vie où le fait d’avoir des petits rôles ne va pas déranger parce que le comédien va regarder, observer…

Parfois, les grosses partitions sont des pièges, parce que l’on n’a pas l’expérience nécessaire pour inventer ce que l’on souhaiterait.

Et parfois, lorsque tu es sur un plateau et que tu n’as pas « grand-chose » à faire, tu redécouvres le plaisir d’y être : il n’y a pas de pression, et tu peux accumuler de la tranquillité, du plaisir, de l’observation des autres… Là-dedans, il y a une part de choix : tu sais pourquoi tu fais les choses.

J’aimerais trouver la liberté de dire : « Je refuse quelque chose qui peut paraître incroyable, que ce soit un rôle ou une institution, parce que ce n’est pas juste par rapport à moi, maintenant : je ne suis pas prête, ou ça va me rendre malheureuse…

Julier Moulier, élève à l'Ecole du Jeu

C. D. Quels sont vos projets à venir ?

L. A. Je vais travailler le masque sur un spectacle en dehors de la Comédie-Française, mettre en scène au Français, faire partie du Songe d’une Nuit d’été mis en scène par Muriel Mayette et du Misanthrope mis en scène par Clément Hervieu-Léger…

J. M. Je sais qu’aujourd’hui, j’ai envie d’avoir des alliés professionnels et des moyens pour faire les choses. J’ai envie de faire de la mise en scène,

mais ce sera peut-être dans 15 ans !

Si un jour il y a un espace qui s’ouvre, je le ferai. Il y a tellement de choses à porter lorsque tu es metteur en scène… Il faut faire attention à ne pas abîmer la joie !

L. A. Nous avons une amitié forte qui nous relie : nous savons que nous allons travailler ensemble.

Mais c’est aussi jouissif de savoir que chacun fait des choses de son côté et s’enrichit…

J. M. En août, je vais assister Yannick Landrein sur sa mise en scène de Bérénice.

Nous avons une chance inouïe : nous allons jouer 15 dates la saison prochaine au Théâtre 95.

Je vais faire de la dramaturgie et de la direction d’acteur, alors que dans la plupart des compagnies, la plupart des assistants font de l’administration… Puis, je ferai partie de la nouvelle mise en scène de Chéreau, Comme il vous plaira.

J’aimerais bien continuer à injecter entre ces deux gros projets du cinéma, qui m’apporte et m’apprend énormément sur la disponibilité, sur la manière dont tu utilises les contraintes… Je trouve ça génial d’apprendre à jouer là-dedans !


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