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Interview de Jennifer Decker


La comédienne Jennifer Decker dans la pièce "Hernani" de Victor Hugo (mise en scène : Nicolas Lormeau), durant l'édition 2012 du Printemps des Comédiens à Montpellier (28 juin 2012) © Pascal Guyot / AFP

Jennifer Decker débute sa carrière de comédienne à 18 ans dans une pièce d’Irina Brook.

Aujourd’hui, pensionnaire à la Comédie-Française, elle travaille également pour le cinéma et la télévision. Voici un entretien enthousiasmant avec cette « ancienne » de l’École du Jeu, entretien qui a été l’occasion d’évoquer le travail de Delphine Eliet, mais aussi l’exigence, la rigueur, le jeu… Enfin, le théâtre !

Claire Duchêne, pour l’École du Jeu : Avant d’arriver à l’École du Jeu, vous aviez déjà un beau parcours d’actrice : à quel âge avez-vous commencé à travailler ?

Jennifer Decker : J’ai commencé à l’aube de mes 19 ans aux côtés d’Irina Brook. Elle montait à l’époque « Juliette et Roméo ». C’était en 2001, l’année de mon baccalauréat. Elle a fait du casting sauvage jusque chez nous, dans la petite ville de Viry-Chatillon. J’étais en terminale Littéraire, option théâtre. Une option dirigée pendant près de 13 ans, par l’auteur et metteur-en-scène Pierre Notte, et mon professeur de français et également écrivain, Sylvie Jopeck.

C. D. À part l’option théâtre pratiquée dans le cadre du lycée, vous n’aviez pas suivi de formation de comédienne avant de commencer à travailler ?

J. D. Non. Enfin… j’ai eu un mois de formation à mes 17 ans, dans un cours privé dirigé par Jean Darnel, au théâtre des Cinquante. Ce mois de « formation théâtrale » c’est de fait très vite transformé en une vie parisienne nocturne où tout m’était permis, loin de l’autorité parentale, loin de ma banlieue. Je quittai le lycée pour prendre le RER D direction Ledru-Rollin… Chaque trajet vers Paris devenait source d’excitation, je ne savais pas à quoi ressemblerait cette nuit prochaine…

C. D. Vous avez fait le chemin inverse de beaucoup de comédiens : vous avez commencé à travailler, puis êtes entrée à l’École du Jeu en plein milieu de votre carrière pour suivre une formation. Pourquoi ?

J. D. Suivre une formation à l’École du Jeu m’a donné confiance quant à mon métier, et à la manière dont j’avais envie de le faire évoluer. N’avoir fait ni école, ni université me manquait : je n’ai pas poursuivi mes études après le baccalauréat : une autodidacte souvent fainéante et en carence. Il me fallait un espace de recherche.

Un endroit où je n’étais plus préoccupée ni à me vendre, ni à épuiser un potentiel qui ne faisait que se répéter dans le choix de mes rôles.

J’étais fatiguée de me voir à l’écran, de voir ce que je proposai. Je sentais faire commerce du peu que je « savais » faire. La démarche d’un cours était donc très intime. Je souhaitais voyager à l’intérieur de moi et me rencontrer pour grandir un peu.. si possible. La dernière chose : je savais quel travail j’aimerais entreprendre, mais je ne savais ni où, ni qui…

C’est une directrice de casting et metteur en scène Justine Heynemann qui m’a dirigée vers l’École du Jeu. Je suis allée voir un cours et j’ai dit oui. J’ai dit oui après 4 heures passées aux côtés de Delphine Eliet et de ses élèves.

Je me souviens qu’avec peu de mots, elle avait su emmener le travail d’un élève vers un enrichissement certain. L’écoute ce jour-là était très belle. Le cours était essentiellement basé sur notre matériau vivant et unique : notre corps.

Est-ce un hasard si après ça, je suis entrée à la Comédie-Française… Aujourd’hui, je suis pleine de mon séjour passé à L’école du Jeu.

C. D. Avez-vous vécu ces six mois de formation comme une parenthèse ou comme une continuité dans votre carrière ?

J. D. Une continuité. Rien ne s’interrompt je crois. Seuls des accidents graves empêchent certains parcours, non ?

Mon choix était lié à mon état passé. Il devenait urgent de m’encadrer. D’écouter un professeur. D’être entourée de comédiens avec qui travailler, échanger, chercher.

Bien-sûr j’ai passé des castings, qui étaient d’ailleurs généralement réussis; pendant cette période de formation, aller à un casting ne m’inquiétait plus, je prenais même un plaisir fou.

J’étais dans la pratique d’un corps qui passait quatre heures par jour, tous les jours, à jouer, regarder les autres jouer, glaner des informations sur le Jeu.

J’ai un tempérament à préférer les cadres.

Je travaille mieux.

Seule, je m’éparpille, j’évolue dans un désordre qui parfois m’éloigne de mon projet.

C. D. Auriez-vous poursuivi la formation si vous n’aviez pas été engagée à la Comédie-Française ?

J. D. Oui pour sûr ! Tout avait d’ailleurs été organisé pour. J’avais vu le nouveau lieu, les masters-classes commençaient à se développer… J’ai pu participer à l’une d’elles : celle d’Alexandre Del Perugia.

Un jour, je rassemblerai mes notes, et j’en ferai quelque chose. C’est une personnalité comme Alexandre Del Perugia qui me donne envie de partager ce que je reçois. C’est pour moi un trésor à préserver. Je pense très souvent à lui quand je travaille.

C. D. Comment avez-vous vécu ces six mois de travail intensif à l’école ?

J. D. En dehors du fait que psychologiquement, je me suis enthousiasmée, que j’aimais mon métier à nouveau, que j’ai fait de très belles rencontres, que je me suis offerte des expériences nouvelles, que je saisissais chaque écho qui se faisait en moi, j’ai fait ma rencontre physique.

Mon corps révèle ses propres « empruntes émotionnelles ». Je m’explique : ma tête jusqu’alors était mon point de départ émotionnel. Là, une action : lever mon bras gauche lentement tout en regardant cette main qui s’élève, déclenchait une émotion. Je quittai le psychologique pour retrouver la mémoire sensorielle.

C. D. Réutilisez-vous les outils que vous avez acquis au cours de votre formation à l’école dans le travail, à la Comédie-Française par exemple ?

J. D. Je réutilise les outils de Delphine, de façon ponctuelle. Mais le faire de cette manière est-il suffisant ? Quand je me confronte à des rôles très physiques et que je sens que mon corps est « endormi », c’est quelque chose que je fais.

C. D. Votre passage à l’école vous nourrit donc toujours ?

J. D. Oui.

C. D. Aujourd’hui, quel est le lien que vous entretenez avec l’école ?

J. D. Depuis peu, nous avons décidé avec Delphine que j’interviendrais en classe concours. Malheureusement, je vois que le temps me manque. J’espère toujours prolonger ma rencontre en élaborant des projets à ses côtés. Nous verrons bien comment, et quand et sous quelle forme et si elle en exprime le vœu aussi.

C. D. Vous êtes sur tous les fronts : théâtre, cinéma, télévision… Quelle artiste êtes-vous et avez-vous envie de défendre aujourd’hui ?

J. D. Je ne suis pas artiste. C’est une question difficile. Les trois médiums audiovisuels que vous avez cités sont encore des moyens de jouer. On joue plus vite à la télévision qu’au cinéma et plus vite au cinéma qu’au théâtre… C’est mon expérience, ce n’est sûrement pas vrai pour quelqu’un d’autre. Sur la question de l’artiste, je ne sais pas.


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