Interview d'Eric Didry

Alors qu’Eric Didry donne une Master Class à L’école du Jeu, Luca Stefanini, Mayya Sanbar, Thomas Huguenin et moi-même travaillons sur la création d’une Carte Blanche que j’ai écrite, à partir de souvenir et de bribes recomposées…

Je me dis que ce serait sûrement enrichissant que nous ayons un entretien avec Eric pour qu’il nous parle de ce travail qu’il a entrepris il y a une dizaine d’années.

Le dernier jour de la Master Class nous prenons donc une heure pour discuter tous les cinq. Eric commence d’abord par nous expliquer les principes de ce travail. Il y a quelques règles établies :

-les acteurs viennent sur le plateau pour raconter un souvenir qu’ils ont choisi et qui doit être vrai

-ils doivent choisir un souvenir en fonction d’une « entrée » qui leur est donnée. Par exemple : « la première fois » ou « la gourmandise » ou » une fois où vous avez eu peur » etc

-les acteurs se dirigent tout seuls et doivent faire un travail de montage pour rendre leur propos le plus vivant et intéressant possible, ils ont ensuite des retours sur ce qu’ils ont fait

Je demande à Eric ce qui, selon lui, fait la différence entre un souvenir qu’on raconterai au café et un souvenir que l’on vient dire sur un plateau.

Il me répond que bien souvent on ne raconte pas vraiment de souvenir au café, il est très rare qu’on parle de soi dans la vie, on se rend compte que cela dévoile beaucoup de chose et qu’il faut être drôle ou avoir une anecdote qui nous parait digne d’intérêt, ce qui est assez rare dans la vie quotidienne.

Il est rare qu’on se définisse vraiment dans la vie, on dit plutôt « moi je ne suis pas comme ça », ou « ce n’est pas mon style de dire ça mais… » , on surveille l’image que l’on donne de soi mais on ne se raconte pas.

Sur le plateau c’est un vrai travail d’acteurs dans la mesure où les comédiens doivent faire preuve de mémoire et d’invention.

Le souvenir est choisi, c’est déjà ce qui permet de dire qu’on est dans un acte de création et non pas dans un groupe de discussion.

Et on choisi comment on va le mettre en valeur. Par exemple il est très important que le récit soit fragmenté, c’est à dire qu’il faut que l’acteur cherche quelle entrée sera la meilleure pour donner son souvenir, faudra t-il commencer par la fin, planter le décor ou alors retrouver toutes les sensations que l’on avait à ce moment… c’est à l’acteur de faire des choix.

Ce travail de création permet à l’acteur de faire des choix en direct, de se tromper, de rectifier, sur le plateau.

Eric Didry tient aux acteurs. En tant que metteur en scène, il est là pour permettre à l’acteur de créer, pour le mettre en valeur, pour lui dire là où il faudrait creuser, mais en aucun cas il ne s’agit de le diriger comme un exécutant.

Pour Eric si on laisse de la place aux acteurs ils ont l’intuition de ce dont le plateau a besoin, ils sont les mieux placés pour jauger de cela. Entreprendre ce travail sur les Récits c’est donc une façon de rendre la part belle aux acteurs et de « remettre le plateau au niveau des spectateurs » .

Car si les acteurs sont libres de créer, les spectateurs reçoivent quelque chose. Après certaines représentations Eric Didry a rencontré des gens qui se disaient « ce passage là, j’ai eu l’impression que c’était pour moi « , il se désigne en souriant.

Notre entretien s’achève, Mayya, Luca, Thomas et moi sommes enthousiastes, cette discussion va nourrir notre projet, nos réflexions sur ce qu’est le souvenir, la mémoire, le principe de reconstitution… Ce travail est réjouissant. Mais lorsqu’on lui demande quand est-ce qu’il va faire un spectacle à partir de ces Récits, Eric nous répond qu’il est difficile de faire accepter ce genre de concept , " des récits d’acteurs, ça intéresse qui ? " . Nous ça nous intéresse.