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INERVIEW de Mikaël Serre sur la relation de l'acteur et du metteur en scène


MLB: Comment, à ton avis, le désir du metteur en scène et de l’acteur se rencontrent ? Mikaël Serre : En tant qu'acteur, d’abord, on est un petit peu dépendant du désir du metteur en scène, parce qu’en général c’est lui qui choisit et pas l’inverse. Mais je pense qu’à un moment, les deux se choisissent. Alors, bien évidemment, il y a toujours la question du pouvoir, parce qu’il y en a toujours un qui décide.Dans le meilleur des cas, les deux se choisissent.

Il arrive qu'un metteur en scène te demande de travailler avec lui parce qu'il projette des choses sur toi, que même toi tu ne comprends pas, et que lui non plus ne peut pas verbaliser.

Mais il se peut aussi que l'acteur n'est pas du tout envie.

Il peut dire non, sauf s'il a très faim et qu'il faut absolument travailler, il dit oui et le désir vient après. Comme le mariage forcé, ça peut se passer plus tard. C'est avant tout un rapport, quand même, de travail.

Je pense que le metteur en scène peut sentir tel acteur ou telle l'actrice dans le projet : par rapport à la pièce écrite et surtout par rapport à la question du rôle et de l'alchimie une peu secrète de la constitution d'une équipe.

Je pense que c'est un peu tout ça. Du coup, le metteur en scène a une relation concrète au travail, par rapport à ce qu'il veut mettre en scène, et surtout comment il veut le mettre en scène.

A un moment, en tant qu'acteur, on choisit aussi le metteur en scène avec qui on travaille.

J'en parlais d'ailleurs avec des amis acteurs, il ne faut pas tomber dans le syndrome de Nina, dans la Mouette, qui est de travailler pour de mauvaises raisons. Parce qu’à un moment on se fatigue, on s’épuise, et au bout de trois ou quatre ans, on se retrouve à Kharkov ou je ne sais pas où, à être tout malheureux.

MLB : Quel est le point commun parmi tous les acteurs avec qui tu choisis de travailler ? Quelles sont les qualités que tu recherches ? Pourquoi travailler avec tel acteur plutôt qu'un autre ?

Mikaël Serre : Je réfléchis, parce que je ne me suis jamais posé la question.

Je choisis des gens qui sont conscients de ce qu’ils jouent, de ce qu'ils proposent, qui sont quand même dans une pensée, qui ne sont pas juste là pour combler des blessures narcissiques ou je-ne-sais-quoi et qui travaillent, qui pensent, qui ont une adresse sur le plateau.

Je pense que c'est comme les qualités humaines : elles sont multiples. C’est pour ça que c’est difficile de répondre.

Ce que je sais, c’est qu’un acteur « très bon » de réputation, je pense qu'il peut être très mauvais, s’il ne s'entend pas avec moi sur le fond de la pensée.

Par contre, quelqu'un, dans la rue, qui n'a jamais joué, peut être mieux que ce « très bon acteur » si on se comprend.

Les mauvais acteurs ne se comprennent pas et ne comprennent pas non plus le metteur en scène. Ca crée des gens faux, qui sont dans des situations fausses, et quand le rapport est faux, je pense que c'est irrécupérable sur un plateau.

Si on s'entend vraiment sur ce qu'on veut raconter, comment on va le raconter, ce qui nous intéressent dans la vie, en ce moment sur terre, ce qu'on ressent sur la situation sociale, politique, culturelle… si on s'entend là-dessus on peut aller très loin.

Ce n’est pas une compréhension de surface, partisane, ou idéologique : ça se passe vraiment sur une sensibilité commune. A partir de là, je pense que beaucoup de choses sont possibles.

Après il y a des gens qui ne sont pas du tout fait pour ça. Il faut espérer pour eux-mêmes qu’ils s'en rendent compte vite ou qu'on leur dise ou sinon c'est une vraie souffrance.

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Tout le monde ne peut pas être acteur je pense. C’est dure comme métier : il faut donner beaucoup, prendre des risques, être exigeant, prendre des risques avec soi-même.

Sinon ça devient un métier très ennuyeux, juste basé sur le faux-semblant : un « je veux être ».

Et moi je les sens très vite les « je veux être » par exemple et ça ne m'intéresse pas du tout.

Il y a un plaisir à faire ce métier, à être dans la joie et dans la lumière, et pas celle des spots, mais la lumière de la vie, le plaisir constant de traverser un tas d'états.

Parce que si on ne risque pas ça, je ne vois pas l'intérêt de faire ce métier.

C’est pareil en tant que mettre en scène. Quand je suis avec les acteurs, je vis des trucs avec eux, je suis sincère dans l'instant, je ne fais pas « comme si », je ne fais pas semblant, je vis les choses en direct, quand ils jouent. Quand je leur parle, que je sois content ou pas, que je sois critique : on a un rapport clair. On ne fait pas des poses.

Comme on peut faire parfois quand on nous demande des répétitions filmées. On se rend compte tout de suite en tant que metteur scène ou en tant qu'acteur, que tout le monde se met un peu en scène.

MLB : C’est quoi un acteur qui « se met en scène » ?

Mikaël Serre : Il se sent observer, pas par le mettre en scène, mais par quelqu'un d'autre. C’est pareil pour le metteur en scène qui est filmé. C'est assez terrible, parce que du coup, il doit jouer un rôle aussi. C'est très compliqué, parce qu’on n’a pas envie d'être observé quand on est dans un travail aussi complexe et aussi sensible.


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