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INTERVIEW d'Eric Didry sur la master class " Récits"


Eric Didry, intervenant sur la Master Class « Récits » du 21 au 25 novembre 2016 à l’école du Jeu.

MLB: Est-ce que tu travailles plutôt à partir des récits de faits réels ou bien à partir des récits de faits imaginaires ?

Eric Didry : Quand on travaille « à monter des récits » à partir de faits imaginaires, je me rends compte que l’écoute consiste simplement à repérer le moment où « on y croit plus ». Ce qui me paraît être une écoute moins intéressante que l’écoute que l’on porte aux choses qui se sont passées.

Et puis, comme la mémoire est très vivante, fluctuante, elle se recompose. Je pense que se souvenir et imaginer sont en fait des choses très communes.

Dans le travail que je fais à partir des récits de faits réels, je vois que les gens sont en prises avec leur imaginaire. C’est à dire qu’il faut qu’ils fassent apparaître pour eux les partenaires de leur histoire, les gens, les lieux: il faut qu’ils retrouvent des pensées.

MLB : Tu fais travailler sur ce que tu appelles « les entrées ». Quelles sont-elles et à quoi servent-elles ?

Eric Didry : Pourquoi les entrées ? Parce que je demande de raconter théâtralement quelque chose : une bêtise, un mensonge, un moment d’audace. Et en même temps, dès qu’on utilise un peu la mémoire, dès qu’on dit « un récit d’expériences vécues », il y a un peu la peur que les gens racontent leurs vies. Et ça, c’est une chose que moi j’ai écarté depuis longtemps. Ce n’est pas raconter sa vie, ce n’est pas un récit de vie. Et donc, si tout un coup je demande le récit d’une bêtise et bien il y a beaucoup de choix. Cela représente une infime partie de la personne, ce n’est pas « se dévoiler ».

Au départ du travail, je dis que je ne veux rien de privé. Que les choses soient intimes, oui, mais rien de privé. Il ne faut pas mettre les autres dans une situation de gêne. Cela se fait assez vite.

Travailler sur une entrée permet aussi de se questionner ensemble : qu’est ce que c’est que l’audace ? Le premier jour, on n’a pas forcement beaucoup de « mémoire ». Il faut de temps en temps qu’il y ait des choses oubliées qui remontent.

J’ai une multitude d’autres entrées. Demain, par exemple, j'ai demandé des récits de « joie ». Aujourd’hui, on a travaillé sur « la première fois ». Alors de temps en temps j’ai aussi des entrées physiques, parce que le récit permet de retravailler physiquement les choses.

C’est aussi très important pour moi que les récits soient fragmentés.

Ce n’est pas simplement ce qu’on dit qui s’invente sur le moment, mais aussi la façon dont on construit le récit. On peut commencer par la fin. La fragmentation permet aussi de calmer les choses, qu’il n’y ait pas une seule ligne dramatique, et de reprendre une autre position dans l’espace pour développer le prochain fragment. Et ça permet aussi d’être très clairement en train de réinventer cette histoire qui s’est déjà passée.

MLB: Justement, est ce qu’il vous arrive après un premier jet, de reconstruire le récit pour le rejouer ?

Eric Didry : Moi, je trouve ça plus intéressant que ça n’ait lieu qu’une fois. Il y a pas mal de raisons. Le fait de raconter une histoire que les autres ne connaissent pas : ça n’arrive qu’une fois et ça c’est précieux. Comme je crois beaucoup à l’improvisation je pense que c’est une chose qui fait partie du théâtre : se jeter à l’eau.

MLB : En quoi travailler avec la mémoire permet d’être dans le passé et au présent à la fois ? Comment ça marche ?

Eric Didry : Moi, je dis qu’il faut tout mettre au présent. Le présent, c’est le temps de l’expérience. Donc de dire « je suis dans la cuisine de mes grands parents » ce n’est pas du tout comme dire « j’ai été dans la cuisine ». Je ne dis pas que c’est la seule réponse, mais ça aide.

MLB : Quelle est la relation entre le récit et l’espace ?

Eric Didry : Les lieux sont très importants. Revenir en arrière, reconvoquer des moments : c’est un peu revenir dans les lieux. Commencer par se retrouver dans la chambre de son enfance, ou devant la façade de la maison de campagne, ou dans la ferme de ses grands parents est une aide principale. Il faut qu’ils voient les lieux. S’ils les voient peut-être que nous aussi nous les verrons. Comme en plus je ne travaille pas une adresse directe, c’est très important que ça soit ouvert. Ils sont libres de projeter des choses, de les voir. Le corps et la parole permettent tout deux l’apparition.

MLB : Il n’a pas d’adresse directe, c’est à-dire : aucun regard avec le public ?

Eric Didry : Ce qui ne m’intéresse, ce n’est pas le corps de la parole : c’est le corps qui est en relation avec le moment. Avec des gens, des lieux, des situations physiques. Cette après-midi, j’ai eu quelqu’un qui est descendu dans un gouffre de 30 m de profondeur, quelqu’un qui a fait son premier saut en parachute. Quelque fois on fait de la moto ski, on est train de monter dans des montagnes ou on est à mobylette au bord de la mer : on traverse des paysages. Toute histoire est toujours une expérience. Il y a beaucoup de corps dans mes récits. On sent bien lorsque certaines choses sont plus vivantes que d’autres : le nom de gens et le nom des villages par exemple.

MLB : Par rapport à un récit de faits imaginaires, est-ce que le récit de faits réels s’impose d’avantage comme une « vérité » ?

Eric Didry : On est face à des faits réels et pourtant il y a du faux parce que la mémoire transforme. Il y a de la recomposition. Puis c’est presque impalpable. C’est ce qui me plaît beaucoup. La mémoire rend les choses très fragiles.

MLB : Comment en tant qu’acteur, on peut se nourrir de ce travail pour jouer un texte ?

Eric Didry : Comment faire apparaître des choses sur un plateau ? Ce n’est pas une technique. Ce que je transmets : c’est que ça devienne de plus en plus possible. Ce travail apporte aussi beaucoup de calme, et les acteurs arrivent à prendre le temps. Il faut à la fois conduire et laisser venir. A des moments c’est vraiment une force. En tout cas pour chercher.

Comme le récit est un texte qui s’invente sur le moment, les acteurs s’en servent pour des textes préétablis. C’est une manière de rentrer dans les textes qui n’est pas seulement autour de la compréhension du texte. Dans les récits, par moment, il y a de très belles écritures de la parole.

Ce que je propose c’est d’aller plus profondément dans ces histories qu’on raconte dans la vie, souvent vite fait d’ailleurs, pour faire rire. On n’a pas l’occasion dans la vie de s’approcher aussi précisément de l’expérience qu’on a faite.


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